Il ne se passe un seul jour sur nos routes sans que le racket ne soit observé. Et le plus souvent au vu et au su de tous, sans la moindre gêne de la part de l’agent commis à faire respecter les règles. Malgré le « plan routier » mis en place par les autorités togolaises, la corruption ne cesse de gagner du terrain. Reportage.
Nous sommes à la gare routière d’Agbalépédogan à ouest de Lomé, il est midi. Dans un minibus de 9 places, nous sommes 14 personnes à bord, en direction de la ville de Kara au Nord du pays. Chemin faisant, deux autres passagers viennent s’ajouter avec chacun un enfant de 7 à 10 ans qu’ils prennent sur leurs genoux. Nous nous retrouvons chacun assis sur une fesse, les pieds immobilisés. Les quelques « Ooh ! Chauffeur, nous allons mourir » de 2 ou 3 passagers ne dissuade pas le chauffeur. Cette leçon de morale n’est qu’éphémère et vite oubliée par les uns et les autres. Après la ronde des racoleurs, démarcheurs zélés, qui s’occupent à vous pousser dans un « bon taxi », et se faire remettre 50 ou 100 F par le chauffeur pour service rendu, notre taxi fait un premier arrêt. Au départ de la station, le syndicat soutire 200 francs prévus pour le chargement. Il paie ensuite payer le ticket de stationnement qui est de 200 francs par jour, puis 200 francs de la mairie. Au passage, il doit offrir un « petit cadeau » (500 francs au moins) aux agents de sécurité chargés de contrôler les tickets de stationnement. Notre bus n’a pas ses pièces à jour. Et le chauffeur Mensavi n’a fait que régler ce « petit problème » par » des pièces » durant tout notre parcours.
Sur près de 420 Km de trajet entre Lomé et Kara, le minibus s’est arrêté six (6) fois à des postes de contrôle de policiers, de gendarmes, et douaniers.
D’abord à Adétikopé, (à l’entrée de Tsévié), les douaniers, postés ici et là comme par hasard, lui soutire 1 000 F. À Notsé, les policiers lui réclament 2000 F; mais il se débat et leur remet un billet froissé de 1 000 F. Entre Anié et Nyamassila, quatre gendarmes nous firent signe de s’arrêter. Il demande à voir les pièces du véhicule. Une fois encore, les billets de banque ont parlé. Le chauffeur a versé 2000 F non négociable. Une situation qu’il na pas du tout digéré. À Pagala et Sokodé (à l’entrée) et enfin à Bafilo, le chauffeur s’est garé à distance de l’homme en uniforme, est sorti de la voiture avec ses livres de bord en main après y avoir pris soin de glisser soigneusement une pièce de 500F entre les doigts, ou parfois un billet de 1000F. Il est toujours revenu et à redémarré après deux à trois minutes environ. Les deux fois où l’opération lui a pris plus de cinq minutes, ce fut à Sokodé et à Bafilo quand il glissa entre ses doigts une pièce de 100F empruntées à un passager. Tout le monde a vite compris qu’il a dû palabrer longtemps avant de se faire accepter « les miettes ».
Quelques kilomètres apes, et nous voilà à l’entrée de la ville de Kara. Là, c’est les militaires qui nous ont accueillis. Avec un air beaucoup plus sérieux, ils ont juste jeté quelques coup d’œil dans nos bagages, puis nous ont fait signe de la main de passer.
A la fin du voyage vers 18h après près de 6h de route, notre chauffeur fait le bilan de la journée. Il me confie avoir distribué gracieusement près de 8500F aux agents routiers, mais il ne s’était pas endetté. Ce qu’il a sans doute récupéré sur les frais de surcharge, même s’il ne le précise pas.
Des difficultés malgré le « plan routier »
Le plan routier est un plan mis en place par les autorités togolaise pour permettre une libre circulation des personnes et des biens sur tout le territoire. Il consiste à réduire les postes de contrôle douaniers et policiers sur les différents axes routiers.
« En principe, l’axe routier qui devait faciliter les échanges économiques entre le différentes régions est devenu totalement inopérant en raison des attentes insupportables aux postes de contrôle policiers tatillons », s’indigne une commerçante qui voit des mangues pourrir sous l’effet de la chaleur due aux multiples arrêts.
« Il ne suffit pas de mettre sur pied un plan routier; le plus important est de s’assurer que les différents départements en charge des contrôles frontaliers (douanes, police, etc…) fassent preuve d’efficacité », a noté Mme Anca Dumitrescu de la Banque mondiale, se prononçant sur les comportements peu courtois des agents routiers.
Une parade : se garantir l’appui d’un militaire, mais…
Pour se faire moins raquetter par les hommes en uniforme, certains chauffeurs acceptent souvent de réserver le siège coté non chauffeur à un militaire ou à un autre corps habillé. « Ils nous assurent la couverture auprès de leurs collègues sur la route. C’est eux notre visa. Nous prenons soins d’eux de telle sorte qu’ils ne paient rien, ou juste le minimum pour le voyage », confie Amados, un chauffeur. Certaine fois, les conducteurs de taxi abusent de la « générosité » des agents routiers. « Il nous arrive souvent d’abuser de nos petits gestes et cadeaux à l’endroit des agents routier », reconnaît Kovi, conducteur de taxi à Lomé. Ils sont pour la plupart saignés à blanc par les maîtres les agents de sécurité chargés du contrôle routier.
Parfois, la compassion et la commisération n’ont guère de place. Les chauffeurs sont livrés à la vindicte. Sur les différentes routes du Togo, il y a les agents de sécurité qui ne badinent pas. Leur « prix » n’est pas révisable. S’ils te disent 2000 (CFA), vaut mieux les leurs donner tout de suite et éviter tout marchandage (voué d’avance à l’échec). De même, il y a aussi des agents de sécurité « raquetteurs ». Il suffit aux conducteurs de leur assurer l’habituel « café », (entendez, 100 ou 200 francs) et vous pouvez circulez librement.
Syndicat d’argent ou syndicat politique
« Les chauffeurs eux-mêmes ne se comprennent pas entre eux. Ils ont plusieurs syndicats. Malgré tout, c’est les mêmes problèmes. Ils n’arrivent pas à se comprendre », a lancé un policier qui a requit l’anonymat. Une situation que le Secrétaire Général du SYLICONTO (Syndicat Libre des Conducteurs du Togo) ne dément pas.
« Nous avons trois groupes de syndicats ici au Togo. L’un est apolitique, l’autre est un syndicat d’argent, et le troisième est politique. Ces deux derniers sont crées exprès pour nous torpiller, et nous diviser », confie-t-il. Plus loin, il ajoute : « Si jusqu’à ce jour l’Etat ne s’est jamais prononcé sur ce problème, c’est que ça lui profite », a-t-il ajouté.
Que faire ?
Le racket des forces de l’ordre a toujours fait corps avec la prolifération des barrages routiers. “ La seule prolifération des contrôles routiers cause beaucoup de désagrément à notre économie ” a souligné le Président de l’Observatoire Togolais de la Bonne Gouvernance, Me Martial Akakpo. « Le phénomène est très complexe. De nos jours, il est difficile d’avancer des chiffres en ce qui concerne la rançon des agents de contrôle routier », a-t-il déclaré. Tout compte fait, on estime le racket des agents de l’ordre sur nos routes qui génère en moyenne la somme totale de 15 milliards de nos francs (selon une enquête réalisée en Avril 2004 sur l’axe nord-sud aux postes de contrôles réels et fictifs).
« Malgré cette incessante collecte de fonds, ajoutée au système des péages instaurés il y a à peine un an sur les différents axes routiers togolais, le phénomène est resté changé. Les fonds collectés n’ont jamais servi à améliorer le réseau routier qui devient de plus en plus meurtrier », déplore un passager.
En 2006 par exemple, les accidents de la circulation ont fait plus près d’un millier de victimes au Togo, selon un constat des autorités togolaises. « Ceci témoigne de l’état comateux du réseau routier où il est courant voir des flaques d’eau en pleine chaussée », constate Edoh Koffi, ingenieur en génie civil.
« Où est passée la Commission Anti-corruption et de lutte contre le sabotage économique instituée par l’Etat Togolais ? », s’interroge un conducteur visiblement affecté.
La politique de l’assainissement de l’économie menée par les autorités gagnerait à mettre fin au racket en faisant preuve de volonté politique. Après les séminaires et autres campagnes de sensibilisation sur le racket, il est temps de passer à la phase des sanctions des agents véreux. Telle est la proposition faite par l’Observatoire Togolais de la Bonne Gouvernance. En attendant que les dispositions ne soient prises par les autorités, le sujet continue d’animer les débats.